Drunk at work (Naïa)

Depuis quelques semaines, je n’allais pas bien. J’avais appris que mon ex-mari avait refait sa vie avec sa maîtresse. Elle était tombée enceinte de lui. Il était tellement heureux qu’il avait voulu le partager avec moi… sauf que je ne voulais pas le savoir. Pour moi, le fait qu’il étale son bonheur sans se soucier de ce que je pensais était terriblement blessant. J’avais eu beaucoup de mal à me remettre de mon alcoolisme à cause de lui car il m’avait menti pendant des mois. J’ai dû fuir La Nouvelle Orléans pour ne plus avoir de liens avec mon ex-mari et ses amis. Je ne voulais surtout pas la voir, elle. J’avais encore du mal à accepter que mon mariage s’était terminé à cause d’une aventure de la part de mon mari. A cause de lui, j’avais sombré dans l’alcool une première fois. J’avais repris ma vie en main. J’avais emménagé à New York où je commençais à me reconstruire petit à petit mais voilà, je retombais en enfer. Bien évidemment, mon ex-mari fut uniquement un déclic lors d’une journée totalement pourrie. A présent, je buvais dès que je me réveillais. Je ne voulais plus ressentir cette douleur au cœur chaque journée. J’avais besoin de réconfort. Je me sentais affreusement seule. Je pensais que rencontrer ma famille biologique m’aiderait mais ce fut tout le contraire. J’étais assez proche de ma sœur jumelle mais le reste de ma famille était inexistante. J’avais des amies sur qui je pouvais compter mais chaque soir, je rentrais et je me sentais seule.

Aujourd’hui, je devais prendre ma garde du matin. J’avais rempli mon thermos avec un mélange de café et de vodka, histoire de tenir au moins jusqu’à midi. Je savais que ce n’était pas une bonne idée, que je pouvais perdre mon travail mais j’en avais besoin pour tenir et aller de l’avant. C’était le seul moyen pour moi d’avancer et surtout de rester debout. Je me voyais mal rester au lit toute la journée à m’apitoyer sur mon sort. On m’avait assigné à l’accueil. On aurait dit que mes collègues savaient que quelque chose n’allait pas. J’essayais de faire du mieux que je pouvais en traitant les dossiers et en prenant les appels mais j’avais beaucoup de mal. Au bout d’un moment, j’ai posé ma tête sur mes bras croisés, contre le bureau. Je n’en pouvais plus de ce début de journée. Je n’entendis pas une personne me parler, à l’occurrence une bonne amie à moi.

J'étais dans mon monde. Ici, il n'y avait plus de souffrance, ni de solitude, plus de pensées négatives. C'était juste moi mais sous anesthésie. J’avais beaucoup de mal à accepter la situation. Je savais que je ne devais pas me laisser atteindre par mon ex-mari, que ma vie était bien, que je pouvais continuer à me battre tous jours comme mon alcoolisme mais je ne pouvais pas. Je n’avais plus la force, ni l’envie. A quoi ça sert de se battre si au final on finit tous par partir un jour. Je sais, j’ai des pensées assez fatalistes. J’avais besoin d’une pause dans mon combat. J’en avais marre de faire semblant d’être parfaite.

Mon métier d’infirmière m’avait une première fois sauvé la vie. A La Nouvelle Orléans, j’avais pu donner aux autres ce que je n’avais pas eu. En retour, j’avais eu une vie parfaite… en tout cas d’apparence. A force, j’avais l’impression d’avoir perdu une partie de moi. En venant à New York, j’avais besoin de tout recommencer mais mon passé m’a rattrapé. Je sais que je ne devrais pas m’infliger tout ça. Après tout, personne n’est parfait. J’avais réussi à être proche de ma sœur jumelle, je m’étais fait des amis sur qui je pouvais compter mais tout était trop beau. Comme d’habitude, j’avais tout fait pour balayer tout ça. J’avais tout détruit. J’avais tout perdu.

Je relevais la tête pour voir Naïa, mon amie médecin. Il y a longtemps j’avais cette ambition de devenir médecin. Maintenant, je ne savais plus. Elle semblait inquiète pour moi mais je ne le remarquais pas. J’étais dans mon nuage alcoolisé. Répondant à sa gentillesse, je lui dis :

« Ca va Naïa, ne t’en fais pas pour moi. »

J’aurais pu lui répondre mal. Etre en colère contre toute cette gentillesse mais je n’avais plus la force… en tout cas, pas à cette heure-ci.